Les marins ont-ils si peur que le ciel leur tombe sur la tête qu'ils la protègent ainsi avec ce coussinet amortisseur ? Dans le meilleur des cas, ils signalent le sommet de leur crâne et le désignent comme un endroit sensible et défendu. Les oiseaux ne peuvent s'y poser, les cerf-volants sont empêchés d'atterrissage et toute chute d'objet anticipée. Idéal si le plafond est bas ! D'ailleurs la légende raconte qu'un marin trop prompt à se mettre au garde à vous, se heurta violemment la tête en voulant saluer l'Impératrice Eugénie, en visite sur son navire. L'illustre cœur de la souveraine charitable en fut tout remué ! Elle posa elle même son joli mouchoir de fine baptiste ( brodé de ses impériales armoiries ) sur le crâne fendu du matelot estourbi. Il épongea le sang vermeil et le pompon rouge témoigne aujourd'hui de cet épisode historique.
Si leur calotte crânienne est protégée, elle est aussi convoitée. Depuis qu'il trône en altitude, exposé aux regards, le pompon est devenu le point de mire et subit d'audacieux assauts féminins, et s'il n'était déjà cramoisi, une telle insistance aurait de quoi le faire rougir de plaisir. Titiller de l'index gauche ce joli bouton turgescent à l'insu du marin qui le porte, est la garantie d'au moins 24 heures de chance insolente, voire la perspective d'un mariage heureux selon les cas, les avis diffèrent. Cependant, les spécialistes sont d'accord sur un point. Le pompon sollicité dans les règles de l'art ne remplit toutes ses promesses qu'à une seule condition : il se doit d'avoir accompli au moins un voyage en mer sur la tête de son propriétaire. Un peu d'expérience est donc requise. Il n'est pas précisé s'il s'agit du tour de la rade, ou du tour du monde, ainsi une grande majorité de pompons sont opérationnels et susceptibles d'apporter du bonheur. Mais si les demoiselles téméraires se font surprendre alors qu'elles tentent un toucher furtif, elles doivent donner un baiser au marin alerté par leur pressant doigté.
Pour être agréé par le Commissariat de la Marine Nationale, la houppette obéit à des règles strictes. Les spécimens dépenaillés, hirsutes, obèses ou rachitiques, de guingois ou branlants, montés en graine ou ratatinés, n'ont pas droit de cité. De la discipline que diable, et pas un poil de pure laine traitée antimite qui dépasse ! Un pompon houppette digne de ce nom est d'un beau rouge garance, mesure 25mm de hauteur, arbore fièrement un diamètre de 8cm et pèse 14, 1gr. Oui, virgule 1 gramme. Ce léger détail fait toute la différence, et distingue le pompon national d'une vulgaire copie qui aurait su singer les autres traits de son caractère.
Une telle précision exige des mains expertes. Des passementières chevronnées sont chargées de lisser les écheveaux de belle laine rouge et de nouer les pompons. Certaines ont la charge suprême d'égaliser les brins, et comme à une pelouse trop vivace, les tondeuses à pompons infligent la coupe réglementaire pour que le houppon pompette français, dru et rebondi comme il se doit, affirme son tempérament dans le respect du règlement. Repos !