La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

vendredi 4 février 2011

Drôles d'oiseaux

Gazouillizouillizouillizouillizouilli... pépipipipipipippipipipipipiement... cliquetitiiiiiiiiii tiiiiiiii tiiiiiiiii... sssssssssssifffffffflement... trilleliiiiiiiiiiiiiiiiiiitrilleliiiiiiiiiii... trillelileli... trillelileliiiiiiiii...
Les étourneaux nichés dans le pin brodent le petit jour. Ils dorment peu, perturbés par les lumières qui laissent la nuit allumée, et jusqu'à ce qu'ils repartent vers les pays de l'Est, ou l'Europe du Nord, les beaux jours revenus, l'usage du réveil devient superflu. Débordants de vitalité, vadrouilleurs, gourmands, dégourdis, il en existe de nombreux, les soyeux, les cous noirs, les joues marrons, ceux des pagodes, de Malabar, de Ceylan, de Daourie, les roselins, les caronculés... et les mouchetés, comme ceux qui viennent dans la région, et froissent l'air de bruissements d'ailes énergiques et froufroutants.  Mais la cohabitation ne se révèle pas forcément idyllique. J'ai toujours été sensible au charme des mauvais garçons, je l'avoue, mais rares sont les personnes qui apprécient comme moi, sans réserve, ces voyous opportunistes, envahissants, assourdissants, sales et mal élevés, et les étourneaux ne peuvent compter sur leur chant mélodieux pour obtenir l'indulgence de tous ceux et celles qui rêvent de s'en débarrasser, excédés par leurs indécrottables mauvaises manières.
Les étourneaux font de piètres chanteurs, mais ce sont des imitateurs virtuoses. Sonneries de téléphone, carillons, klaxons, pas un seul tonitruant pin-pon qu'ils ne s'amusent à reproduire, ils sont même capables d'appeler quelqu'un par son prénom ! Il paraît qu'ils adoptent certaines caractéristiques propres aux cris des oiseaux des régions qu'ils fréquentent, en fait ils piaillent avec l'accent !
Je les observe avec attention, et leur comportement est le meilleur antidote à la morosité. J'aime particulièrement leurs manoeuvres d'atterrissage, lorsqu'ils se posent sur le fil électrique... emportés par leur élan, leurs petites pattes agrippent le fil et hop, ils culbutent vers l'avant, piquent du bec le cul par dessus tête, les plumes de leur queue ouvertes en éventail, arqueboutés pour ne pas dégringoler. Leur mouvement de bascule est irrésistible, à la fois énergique et maladroit, comme leur dégagement latéral, cahotant et pressé, une patte après l'autre, coulissant le long du fil, pour faire de la place à un congénère qui arrive à tire d'ailes pour se poser. Toute la ligne d'oiseaux sur le fil s'écarte et migre en se dandinant, mais aucun emplumé ne laisse sa place sur le perchoir tendu par dessus le toit.

Photo Laurent Quinquis CC

Laurent Quinquis CC
Les étourneaux volent en nuées, composées parfois de plusieurs milliers d'individus, et dessinent des figures étonnantes, volutes, rubans qui s'étirent et se nouent sans cesse, nuages aplatis et denses qui se dissolvent, s'étalent en nappes et se concentrent à nouveau, les oiseaux évoluant comme une seule unité mouvante et interactive. Personne n'a encore percé le secret de ces chorégraphies mystérieuses et hypnotiques, de ces formes élaborées et fluides, de ces mouvements collectifs parfaitement coordonnés qui n'obéissent à aucun leader, à aucun signal magnétique, ou chimique. Simplement, dans le groupe, les étourneaux communiquent avec 5 ou 6 de leurs voisins les plus proches, une loi en vigueur chez les poissons, les moutons et... les hommes. Dans la rue, lever la tête et regarder en l'air ostensiblement provoque la même réaction de curiosité chez les passants. D'éminents scientifiques, réunis dans le projet Starflag, physiciens spécialistes des systèmes complexes, étudient les mécanismes des mouvements collectifs des étourneaux en relation avec leur comportement individuel. Pour trouver des similitudes étonnantes avec le comportement humain. Les moeurs de ces volatiles expliqueraient les mécanismes en jeu dans les phénomènes de mode, les mouvements sociaux, ou encore le déclenchement des ordres de vente chez les traders qui se propagent à tout le système, déclenchant sans crier gare une crise financière.
Les ailes des étourneaux sont les accents du ciel, et soudain palpitent mes souvenirs... Dans le laboratoire plongé dans l'obscurité, seul l'agrandisseur est allumé. Un négatif de film noir et blanc projette sur le papier une image de paysage trop contrastée. Sous l'objectif, dans le faisceau de clarté, les mains ouvertes de mon père, comme des ailes frémissantes, sculptent la lumière et sous mes yeux éblouis dessinent le ciel doux et profond au dessus des arbres.
En attendant les conclusions des scientifiques, la colonie d'oiseaux qui a envahi mon pin préféré est allée se coucher, la tête blottie sous l'aile. La nuit est calme, mon univers de poche juste circonscrit par le rond de lumière de ma lampe... Ce soir, cette frontière dessine un îlot indemne qui me contente. Au moins jusqu'à demain.

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