La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

vendredi 1 avril 2011

Fleur de tsunami

Le monde souffre, et éructe, et gronde, et je tremble. Pour le Japon à terre, calme et digne, couché dans l'eau boueuse empoisonnée, pour le monde arabe, fervent et rebelle, qui hurle sa soif de liberté et tombe sous les balles. Des sacrifices, des vies offertes, et adviendra-t-il, le règne espéré de l'Humanité sage et éclairée ? Dans ce tourbillon, des lumières clignotent. Les fondamentalismes n'ont pas réussi, pour le moment, à verrouiller les aspirations du peuple arabe. Il se bat pour changer le monde et pour accéder aux droits fondamentaux de la seule race qui prévale, la race humaine.
Un tsunami... Un nom trompeur, un traître, un sournois. Un fauteur de désastre, de maisons émiettées comme des biscuits dans la boue, d'arbres abattus et noyés, de voitures écrabouillées suspendues dans les airs, de paysages détrempés, d'âmes perdues errant comme des fantômes, abasourdies, et la mort qui flotte, transparente, légère... Une petite fille tient la main de son papa pour ne pas trébucher dans les monceaux de gravats, restes pitoyables de sa maison effondrée. Elle est si petite, ses yeux virgules fendus sous sa frange rectiligne, elle disparaît presque, engloutie dans un ciré orange rigide comme une boîte... elle cherche à retrouver sa chambre dans les décombres. Elle pousse un cri joyeux, et se précipite vers un tutu ébouriffé, immaculé, posé intact, éclos dans la boue comme une fleur lumineuse d'une pureté étincelante. La petite fille le serre contre elle, son petit visage ravi émerge du tulle froufroutant. Elle a retrouvé sa robe préférée, et là, au coeur de la tragédie, soudain, la grâce.
Les images de la Lybie enfiévrée déferlent sur l'écran, la caméra pénètre à la morgue derrière un insurgé en colère qui veut témoigner de la violence des combats. Il ouvre un tiroir de métal, et tire pour dégager un corps enveloppé, un ami massacré par les mercenaires ennemis, un parent peut-être, un voisin, icône d'un peuple meurtri et fier. Du tunnel obscur, une couverture émerge, qui protège et dérobe le corps aux regards, imprimée de grosses fleurs épanouies rouges et jaunes. Au milieu de cette détresse, des cadavres empilés, subitement l'horreur de la guerre s'éclaire d'un jaillissement incongru de couleurs pimpantes. La vie explose, et l'espace d'un instant, le chaos et le drame s'effacent.

Moi, pendant ce temps, dans un autre coin du monde, je vis une saison des amours bien particulière. Non, pas une attaque du fameux démon de midi. Non, voici revenue la période ou crapauds et grenouilles migrent, et retrouvent la mare où ils sont nés pour copuler toutes les nuits. J'écoute avec extase les coassements frénétiques et rauques monter dans la nuit parfumée et humide. Le romarin est en fleur, et le jasmin, et la glycine. Les pins, gorgés de pollen, sont prêts d'exploser. Le printemps est là, arrivé depuis quelques jours sans crier gare.
Plusieurs départements ont fermé des routes pour protéger la traversée de nombreux amphibiens surexcités, pressés de se jeter à l'eau au milieu des nénuphars, des roseaux et des papyrus. D'autres ont installé des glissières, qui amènent sans dommage les animaux impatients jusque dans un trou d'eau. Là, récupérés par un passeur précautionneux, ils sont transportés dans un seau de l'autre côté de la route meurtrière. D'autres encore ont creusé des crapauducs sous la route, des tunnels, pour protéger leur pérégrination pour la survie de l'espèce. Madame, replète et endurante, porte monsieur sur son dos, un gringalet sans la moindre envergure, jusqu'au lieu de leurs ébats aquatiques.
Parfois elle s'enfonce dans l'eau sous le poids de son ingrat compagnon, elle coule à pic, et termine le voyage noyée, sans avoir eu le temps de s'abandonner aux assauts de son mâle imbécile, qui aplatit lui-même au fond de la mare boueuse, l'objet malheureux de ses désirs égoïstes.
J'ai cherché pour connaître la raison d'autant de soins et d'attentions prodigués à nos adorables amis baveux et pustuleux pour protéger leur reproduction. Outre le fait que les crapauds mangent les mosquitouzes, je me suis rappelé que ce sont des princes charmants en tenue de camouflage.
Sinon, j'attends avec impatience l'exposition des photographies de Klavdij Sluban à l'Hôtel des Arts. Personne ne me parle comme lui de l'exil, du voyage éternel à la recherche de soi-même, de cette quête désespérée d'un endroit pour appartenir, au milieu de nulle part, et d'êtres pour s'attacher qui sans cesse se dérobent, se figent, et fondent dans le noir. Pour toujours insaisissables.

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