La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

jeudi 5 mai 2011

L'ombre numineuse



 Lettonie, 2002
Les images de Klavdij Sluban, exposées à l'Hôtel des Arts, à Toulon, m'ont littéralement sidérées. Une jubilation un peu anxieuse de me laisser ravir par cette ombre crépusculaire et veloutée, le grain très doux du papier appelant la caresse. Transportée hors de la réalité familière, j'étais au coeur du mystère, étrangère, détachée, mais en même temps subjuguée par ce que je reconnaissais. Mon ombre intime et ses fulgurances.
Un noir intense et absolu révèle des espaces abstraits, fragments arrachés à nulle part. Des contrastes somptueux, des gammes infinies de gris et de blancs montent des profondeurs. Un noir qui respire, habité. Comme un souffle d'une délicatesse infinie, la lumière, spectrale, affleure, sourd du néant, une buée fragile flotte et semble hésiter avant peut-être de sombrer, happée par l'ombre dense qui s'étend. Du quotidien rude et ingrat émane une clarté singulière.
Qui vient à ma rencontre, qu'est-ce qui remonte des profondeurs, et me bouleverse, et me transforme ?


 Mer Noire
Une tentative désespérée de ravir une image au néant, lancé en avant dans une course éperdue, sauver la vie de la nuit qui gagne si personne ne tente rien, capter l'infime présence avant de la quitter pour toujours, avant qu'elle ne se dissolve, avalée, au moment exactement où elle émerge... Apparition fantôme, mais si assurée, imposée au milieu exactement de l'image... Impitoyable.
Des phares de voiture allument le chemin désert avant de disparaître, des troncs graciles de bouleaux argentés griffent l'obscure forêt, un visage noyé de givre dans la vitre d'un bus surnage, nénuphar hypnotique, un chapeau de paille comme une auréole oscille au-dessus d'une tête effacée, une silhouette brumeuse dans un halo s'effiloche... rien pour se retenir, se planter là, aucun appel, aucune invitation à trouver le repos, à renoncer à la solitude, à chercher toujours, le silence de figures à peine entrevues, impénétrables, qui renvoient à l'errance, lieux désolés et perdus qui racontent l'exil... et pourtant, une douceur poignante et inattendue s'insinue dans cette quête obstinée. Je communie profondément avec ces visages inconnus et muets, ces paysages fossilisés, obscurs et irradiés. J'entends murmurer, doucement, et je résonne comme un tambour.

 Kaliningrad 2004
Cette expérience des confins parle de territoire intérieur. D'exploration exigeante de paysages intimes, une soif inquiète de la rencontre, de l'autre, de soi, de l'autre en soi. Connaître et se reconnaître. Un engagement à éprouver les limites, une implication à s'aventurer le plus loin possible, au-delà. Le risque de se perdre comme une chance de pouvoir se trouver, mesurer le chaos, à l'intérieur de soi, dehors, frissonner à l'immensité, se cogner aux murs, déchiffrer les ténèbres et libérer la clarté. Là, tremblante, une lueur monte, s'affirme, brille d'un éclat aveuglant, l'espérance de l'humanité, comme seul refuge.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire