La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

dimanche 20 mai 2012

Typhoïde et botanique

En 1861, George Sand, plutôt dotée d'une solide constitution, subit les attaques d'une méchante fièvre typhoïde qui la laisse exsangue ( c'est étrange ! George était justement du genre " qui en avait dans le ventre " et c'est la tripe qui aura, quelques années plus tard, raison d'elle ). Son médecin lui prescrit une convalescence sous un climat plus serein que la grisaille parisienne ou l'humidité berrichone, et elle charge son fils Maurice de trouver dans le sud de la France une location abordable. Ses recherche d'une villégiature propice au rétablissement de sa mère ( célèbre, mais désargentée ), l'amènent à jeter son dévolu sur une maison à Tamaris, un petit hameau au bord de la Méditerranée, sis sur la commune de la Seyne sur Mer, dans le Var. Aurore Dupin, baronne Dudevant, arrive donc le 18 février par le chemin de fer à Toulon, accompagnée de sa chambrière, et de son secrétaire et amant dévoué, Alexandre Manceau, jeune homme doté de nombreux talents ( il est aussi graveur ). Après une nuit passée à l'hôtel, elle rejoint Tamaris en barque à voile, où elle demeurera tout le printemps, jusqu'à la fin du mois de mai. Elle lutte longtemps contre les séquelles de la maladie qui torturent son estomac et la font pleurer "  comme un veau " ( sic ), mais elle guérit et reprend des forces peu à peu, grâce aux carottes, aux infusions d'aigremoine souveraines pour les intestins surmenés, éblouie par la vue des fenêtres de la maison qui ouvrent sur la baie du Lazaret ( que les chroniqueurs de l'époque comparent au détroit du Bosphore ), et plus loin sur la presqu'île de Saint Mandrier, l'isthme des Sablettes, le Cap Sicié.
" C'est la plus belle vue de côte maritime que je connaisse. Au retour, effet de soleil couchant admirable. Le Coudon se décoiffe et se dessine en opale sur le ciel. La mer est rose puis lilas rose avec des tons gris perle. Le ciel est en flocons de nuages cerises. C'est magnifique. " Extraits du journal du 24 février 1861.
Une côte d'Azur ottomane, qui sied particulièrement bien à George Sand, si orientale dans son caftan rayé, photographiée par Nadar.

La maison louée par George Sand, version italianisante
Tamaris à l'époque est une colline boisée de pins et de chênes verts, piquée de bouquets de genêts et de lentisques. Ses flancs s'étagent en restanques plantées d'oliviers, de vignes et d'amandiers.  A ses pieds, la plaine s'étale et accueille arbres fruitiers et cultures maraîchères. George Sand se consacre à l'écriture et, férue de botanique,  herborise dans la colline, découvre des plantes inconnues et odorantes, prélève plants et boutures dans une nature en effervescence qui la remplit d'allégresse. Elle raconte son ravissement dans un roman inspiré par son séjour, Tamaris, écrit à son retour à Paris, fin 1861.
Hier
" Des abeilles, butinant sur ces parfums sauvages, remplissaient l'air de joie. Des lins charmants de toutes les couleurs, des géraniums rustiques, des liserons mauves d'une rare beauté, de gigantesques euphorbes, de luxuriantes saponaires, des silènes galliques s'emparaient de toutes les roches, de tous les champs et de tous les fossés. C'était la fête partout... "   
" La nature riait par tous ses pores. Les cistes blancs à fleurs roses, les ornithogales d'Arabie, les gentianes jaunes, les scilles péruviennes, les anémones stellaires, les jasmins d'Italie, les chèvrefeuilles de Tartarie et du Portugal croissaient pêle-mêle à l'état rustique, indigènes ou non, sur la colline de Tamaris devenue un bouquet de fleurs ".

Aujourd'hui
Elle se promène et fait de longues randonnées dans la campagne et au bord de la mer, quand les bourrasques du mistral têtu, certainement le seul à lui en imposer, ne la contraignent pas à se calfeutrer dans la maison : " Mauvaise journée. Mistral enragé, froid. Pas le nez dehors. Je me sens toute patraque et j'ai mal à l'estomac. Je ne peux rien faire... " Journal du 4 mai 1861. Elle s'adjoint les services d'une cuisinière barbue ( ! ) mais douée, une alimentation saine participant à la remettre sur pied.
Sa flamboyance recouvrée, elle rencontre des personnalités locales, et malgré sa soif de solitude et de tranquillité, cède à ses obligations mondaines et reçoit les visiteurs, souvent prestigieux, qui la sollicitent. Elle se passionne pour la marine à vapeur, monte à bord de bateaux, se renseigne sur la propulsion à hélice, l'armement des navires de guerre, visite des arsenaux, découvre le rude travail des marins et des ouvriers de la construction navale.
Cette convalescence idyllique n'entraîne pas la perte de sa lucidité, et sa vision de la surenchère immobilière qui sévit déjà, est prophétique de l'avenir de la jolie colline de Tamaris, pour l'heure encore sauvage et préservée.
"On achète toujours et on bâtit partout. Il en résulte une telle division de la propriété que la terre sera absolument nulle comme rapport et que la campagne disparaîtra sous une ville à jardins, garnissant toute la côte. Ce sera plus fructueux puisqu'on pourra toujours vendre, louer et gagner sur son marché, mais avec leur système de bâtisse ce sera horriblement laid ". Journal du 16 mai 1861.
Elle a pourtant de la peine à s'en aller, à s'arracher à ce paysage de tempête, d'arbres tordus et de fleurs vivaces. Le souvenir de son séjour nourrit l'intrigue de deux romans Tamaris, La Confession d'une jeune fille et d'une pièce de théâtre Le Drac mais elle ne revint jamais habiter Tamaris qui garde encore comme le doux parfum de son passage, libéré dans un bruissement de faille et de soie, même si George Aurore fumait la pipe et portait facilement bottes et pantalons.


La maison où elle demeura durant ces quelques mois, " petite, badigeonnée en jaune rosé à la mode du pays, couverte en tuiles courbes, six fenêtres de façade contrevents verts " fut vendue en 1880 et transformée selon le goût antique. Frontons, corniches et pilastres furent rajoutés en ornements sur la façade pour l'enoblir, et en 1889 elle fut baptisée Villa George Sand, en l'honneur de son illustre occupante. Un médaillon de terre cuite figurant son portrait fut apposé sur le fronton central. Démolie en 1975, pour laisser la place à un projet immobilier glouton dénué du moindre charme, seul subsiste de la maison le médaillon, conservé dans le petit musée du fort Balaguier, dressé en sentinelle quelques mètres plus loin, dans une boucle de la petite corniche sur le front de mer.


Notule : le journal de George à Tamaris, Le Voyage dit du midi, écrit du 19 février 1861 jusqu'au 29 mai, jour de son départ, vient tout juste d'être réédité par l'association Livres en Seyne.

1 commentaire:

  1. J'étais tellement fière, "petite", d'aller au Collège George Sand!
    Ma/notre chance, une enseignante assez fine et intelligente pour nous parler de George comme cette femme fière qu'elle était, à travers ses oeuvres, à travers sa vie, aussi.
    Ah ce joli kiosque à musique qui surplombe l'écume de Tamaris...

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