La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

mercredi 20 novembre 2013

Green goodbye

A dix minutes à peine de Sarrebruck, en Allemagne, s'étend une immense forêt, l'Altenkessel. Elle pousse en liberté, depuis 1995 aucun arbre n'est plus abattu. Les souches abandonnées sur la mousse nourrissent la végétation et les insectes, la chasse est interdite, et sans l'intervention de l'homme, la forêt se régénère seule, en toute tranquillité. Cette nature rendue à l'état sauvage, qui fait la joie des promeneurs, est le résultat d'une rupture radicale avec la culture intensive pratiquée aveuglément pour des raisons économiques, au mépris de la protection de l'homme et de la planète.
Des milliers d'hectares ont ainsi été recouverts avec une unique variété d'arbres à croissance rapide. Les sols se sont appauvris, les arbres se sont anémiés, et les tempêtes ont eu raison de ces plantations raisonnées, sélectives et fragiles. Les erreurs peuvent être sources d'enseignement, et la nature encouragée, protégée, a maintenant repris ses droits. L'homme peut retrouver le lien sacré qui l'unit à la forêt, tour à tour matrice enveloppante, protectrice, maternelle, symbole de l'inconscient crépusculaire et insondable, habité de peurs, de fantasmes et de désirs, et espace privilégié initiatique pour la découverte de soi. Dans les contes, les personnages se perdent dans la forêt enchevêtrée, traversent ce qu'ils croient connaître d'eux-mêmes, affrontent les dragons de leurs angoisses, et découvrent la clef de leur mystère, dans une clairière lumineuse tapissée de mousse.
La forêt est le lieu de l'ambivalence, de la coexistence du bien et du mal. Animée de forces bénéfiques, elle est peuplée de génies bienfaisants, lutins, fées diaphanes, elfes gracieux et faunes gambadants, magiciens et enchanteurs. Sauvage, sombre, inquiétante, elle cache des êtres velus, farouches et infréquentables, satyres, sylvains et diablotins, et abrite les sabbats frénétiques de sorcières chevauchant leurs balais dans la lueur blême de la lune. Dans la culture scandinave, germanique et celte, la forêt est le temple originel qui abrite les esprits des bois. Les druides officiaient sous les grands arbres qui étaient vénérés, et des aires sauvages, bordées de pierres, marquaient les lieux de culte. Les cathédrales, voûtes de pierre érigées vers le ciel, aux piliers sculptés de motifs végétaux, sont les réminiscences des premiers temples naturels païens. A la période de Noël, avec le sapin, ancien symbole du renouveau de la vie après le solstice d'hiver, un peu de la grande forêt sacrée pénètre dans la maison et embaume.
Territoire enchanté, lieu de la marge, de l'exclusion et du refuge (au Moyen-Âge, la forêt abrite tous les exclus, volontaires ou pas, les fous, les proscrits, les brigands de petits et grands chemins, les ermites, les lépreux, et les persécutés de tout bord) aujourd'hui les bois sauvages réactivent le lien effiloché de l'homme avec la nature, dilatent son monde intérieur aux dimensions du cosmos, et rendent aux arbres leur identité de gardiens de la terre qui régénèrent notre être tout entier. Les Japonais le savent, qui pratiquent le shinrin-yoku, ou bain de forêt.
Comme toute créature au monde, l'arbre a son rôle unique. Investi d'une mission bienveillante, il protège toute forme de vie. Épiderme sensible de la planète, poumon végétal, il catalyse l'énergie entre le ciel et la terre. Compassionnel, il fait don de son ombre bienfaisante, abrite les oiseaux, attire les pluies, régule la pousse des végétaux alentour. Majestueux, il incarne les valeurs de force, de calme et d'harmonie, de sagesse, de générosité. Les Celtes et les Germains étaient enterrés au pied des arbres et cette tradition retrouve des adeptes de nos jours, en Allemagne, en Angleterre, et plus timidement en France.

Dans la forêt de l'Altenkessel, le Friedwald est un espace de sépultures forestières. Au pied d'un arbre loué pour une durée de 10, 30 ou 99 ans, les urnes biodégradables des défunts sont enfouies au cœur des racines. Une petite plaque apposée sur le tronc signale l'identité de ceux qui reposent tranquillement sous la ramure.
Alternative écologique, solution poétique à la pénurie d'emplacements dans les cimetières des zones urbanisées soumises à la pression foncière, le jardin de mémoire champêtre séduit les amoureux de la nature.



Pour ceux qui refusent une niche sévère de pierre inerte et glacée comme dernière demeure, et qui ne sont pas davantage conquis par la dispersion des cendres de leurs défunts dans une bourrasque brutale et discourtoise, le cimetière forestier offre une sépulture plus digne et consolante. Dans le golfe du Morbihan, sur les rives de la rivière du Bono, s'étend en pente douce un jardin planté d'arbres et de fleurs. Chaque famille est propriétaire de son arbre, dont elle peut choisir l'essence, et installer à sa guise un petit autel à la mémoire des chers disparus. Plantations, galets et coquillages, objets chargés de sentiments, le pied de l'arbre devient le petit espace organisé du
souvenir et du recueillement, où s'exerce librement la créativité et la tendresse des vivants. L'arbre abrite, protège la mémoire, prolonge la vie du disparu, transforme la perte en présence vivante et sensible. Lieu ouvert aux promenades en famille, à la méditation, à la contemplation de la nature, l'atmosphère est paisible et souriante. Une façon d'honorer les défunts en les installant dans un jardin d'éden, d'entretenir le lien, avec la possibilité pour les vivants d'aller les retrouver pour partager un moment, de reprendre la conversation interrompue et d'avancer doucement vers l'acceptation. Ici et maintenant, vie et mort réunies, réconciliées au paradis, ou sur la terre de la lumière éternellement paisible.


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