La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

vendredi 3 janvier 2014

Les petites laines




A l'occasion d'une balade à la Seyne sur Mer, je découvre, amusée, les arbres emmitouflés. Les palmiers et les yuccas n'ont pas l'habitude, sous ces latitudes clémentes, de porter des cache-nez et des pulls-over. Incongrues, ces petites laines apportent de la tendresse soudain, et un humour câlin colore le centre ville. Initiative lancée par une association de tricoteuses locales, la Seyne, comme d'autres villes en France (Paris, Angers, Cahors avec l'artiste Elodie Chosson) adopte le yarn bombing, venu des Etats-Unis. Difficile à traduire, le bombage à l'aide de fil à tricoter (yarn) est aussi appelé knit graffiti, ou le tricot graffiti. Expression urbaine qui utilise la ville comme champ d'exploration, le yarn bombing est une forme du street art, lancée par des artistes américaines dont la plus connue est certainement la texane Magda Sayeg.
En 2005, elle lance le projet Knitta please, et habille de tricot dans le monde entier les arbres, les monuments, les bancs publics et les réverbères, les autobus et les statues. Les constructeurs de voitures ont fait appel à ses talents d'artiste textile pour emmailloter la Prius Toyota, la Smart ou encore la mini Cooper. 
L'artiste Olek utilise le fil et le crochet pour tout recouvrir, même les êtres humains, avec des ouvrages multicolores qui évoquent les couvertures de nos grand-mères. La couleur explosive, énergétique, contamine la ville, la maille emballe avec espièglerie le mobilier urbain raide et stoïque, les statues solennelles et compassées, les palissades se couvrent de messages brodés. Aussi appelées yarnstormers, les guérilleroses de la pelote envahissent les rues, crochètent leurs méfaits, et abandonnent sur place leurs oeuvres éphémères comme autant de cadeaux surprises et de clins d'oeil complices, en faveur de davantage de douceur et de respect.


Le crochet et le tricot sont plutôt des activités féminines, et les filles dominent encore dans cette forme d'expression streetcoteuse. Partout dans le monde, les bandes d'artistes armées de leurs aiguilles à tricoter attaquent en douceur l'espace urbain dur et froid et proposent une ville doudoune, pelotonnée et gaie. Le collectif Knit the city à Londres, Masquerade à Stockholm, l'artiste Bali à Melbourne, Tricot Pirate à Montréal, Carol Hummel, le collectif France Tricot à Paris, dont le nom désuet rappelle le passe-temps favori de nos grand-mères, les catalogues Bergère de France et les échantillons de laine duveteuses qui frangent les pages des fiches tricot. L'éthique du care, venue des Etats-Unis, mélange de sollicitude, d'attention, et de soin, s'insinue dans cette forme d'expression urbaine. Réparer le monde, le protéger, le soutenir, changer le regard, pour permettre d'y vivre mieux.

Carol Hummel
Collectif France Tricot
Pour envahir la ville, les artistes font souvent appel à des tricoteuses chevronnées. Les maisons de retraite, les associations, les fabricants de laine à tricoter, tout le monde participe à l'oeuvre collective.
Le tricot et le crochet abandonnent depuis quelques années leur estampille plutôt vieillotte et dépassée. Les associations se multiplient, les cafés tricot fleurissent, les garçons s'y mettent sans complexe. Dans une ambiance conviviale, on échange les modèles et les techniques. Les blogs de tricoteuses et autres artistes textiles pullulent (un petit tour sur In the loop, le webzine des arts de la laine, l'un de mes préférés), rencontres et évènements réunissent les aficionados. Les Américaines, stars incontestées des aiguilles dont le nombre a augmenté de 150% entre 2002 et 2004, ont continué de tricoter pour les soldats en Irak, tradition qui remonte à la guerre de Sécession. Certaines tricotent pour d'autres guerres, contre le cancer par exemple, et réalisent de jolis bonnets, les chemo-caps, pour les femmes qui suivent une chimiothérapie. D'autres créent des vêtements miniatures pour des bébés grands prématurés, si petits et si fragiles, ou pour aider des mamans en difficulté.
Le tricot comme un art, un acte solidaire, un artisanat traditionnel, une activité communautaire inter générationnelle, qui protège de la solitude, du froid et de la détresse, est décidément un acte d'amour.

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