La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

mercredi 23 juillet 2014

Toulon, terre promise

Au fil de mes pérégrinations, je me retrouve à Toulon. Ce n'était pas prévu au programme, mais un changement de direction professionnelle, un temps de réflexion assorti d'une période de chômage, une proposition inattendue pour un emploi d'accompagnement professionnel auprès des porteurs de projets artistiques, et me voilà invitée à séjourner dans le sud, loin de mon cher Paris.
A Toulon, je suis habitée d'un sentiment d'étrangeté, comme si la ville engourdie avait subi un sort maléfique dont elle tente de se libérer.  En pleine mutation, le centre ancien, muré, éventré, subit les assauts des démolisseurs et de leurs machines, et reste pour le moment illisible hors de certaines rues commerçantes conduisant à des îles, des places comme des repères stables où la vie est possible. La déambulation, contrainte, suit les mêmes parcours balisés sous peine d'égarement dans une ville fantôme, des ruelles étranglées, privées de lumière, bordées de maisons décrépites vidées de leurs habitants, dont les volets claquent les jours de mistral. Quel affligeant contraste avec l'animation que j'ai connue à mon époque lycéenne, la vieille ville alors était surnommée Chicago. J'ai raconté déjà dans ce blog (voir l'article Houpon pompette) ma fascination pour la Chicag' maritime.






Les devantures rouillées des magasins tristement closes se couvrent de couches superposées d'affiches et de graffitis qui stigmatisent encore la paralysie économique. La promenade a un certain charme cependant, les vestiges de la vie passée sont sensibles. Une élégante porte massive se décompose, la dentelle d'une ferronnerie s'effrite, fragile comme une gaufrette, les fenêtres défigurées par des murs d'agglos revêches gardent leurs encadrements moulurés.


Les devantures des boutiques mortes laissent deviner parfois un style qui fut délicieusement art déco, comme l'architecture des anciennes halles municipales, construites en 1929, merveille en béton armé, qui n'en peut plus d'attendre une réhabilitation soumise à de multiples projets et qui tarde à se concrétiser.




De cette ville en devenir, j'espère le meilleur, et le sentiment qui m'étreint est celui de l'incertitude. Je tremble parfois devant la façade d'une maison déglinguée dont je repère les charmes fatigués, et j'espère une intervention secourable qui saura la faire renaître en conservant sa patine usée. Je rêve que la rade se libère de sa muraille dressée d'immeubles (révolutionnaires à leur époque, je sais, et la façade sur la mer habillée de persiennes colorées est plutôt gaie, mais les trouées prévues par la construction sur pilotis, occupées maintenant par des bars et des restaurants, ne jouent plus leur rôle de respiration et de transparence) et inonde la ville de lumière, de souffle salé et d'embruns. J'imagine le destin d'un immeuble humilié qui retrouve sa superbe, et la vocation retrouvée d'une petite place abandonnée : offrir une ombre apaisée, inviter au dialogue chuchoté pour ne pas déranger le ruissellement doux de la fontaine rendue à l'eau vive, gaie et glougloutante sous la mousse. Je me tricote des illusions, mais ma situation songeuse, si elle comporte des risques d'amères déceptions, me procure aussi certains délices. Si Toulon me donne à rêver, c'est qu'elle est porteuse d'infinies possibilités, avec ce contraste étonnant entre la ville haute, aérée, majestueuse, hausmanienne, et la ville basse, dense, sombre et resserrée. Et je ne m'attendais pas à placer dans cette ville que j'ai longtemps mal aimée, je l'avoue, autant d'espérance. Et si Toulon s'inspirait un jour de la ville de Nantes qui propose des parcours de découverte de la ville et des environs revisités par des artistes ? Je démarre au quart de tour, j'imagine des balades dans la ville émaillée d'expositions, des installation d'œuvres nichées au cœur de la cité comme autant d'étapes poétiques et ludiques, des lieux insolites pour des apéros, des points de vue pour des haltes songeuses, des circuits à vélo entre mer et montagne sur des parcours aménagés, des vestiges préservés après des fouilles délicates, la découverte des quartiers et de leur histoire.




Imaginez une promenade au XVIIe siècle à la rencontre des portes anciennes, arquées en plein cintre, avec une clef de voute saillante décorée et parfois un petit oculus ovale au-dessus, comme un clin d'œil, remontez le temps avec les portes soulignées par un linteau droit ou arrondi aux coins retroussés, avec l'imposte sculptée, imaginez des rendez-vous avec des balcons bordés de ferronneries de style rocaille ou géométriques, des aperçus dans les airs sur les petits lanternons en verre coniques qui chapeautent les toits, les altanas, posés sur les tuiles pour éclairer l'escalier intérieur.







Je m'emballe, et l'autobus en partance pour ce terminus engageant, un quartier des environs au nom évocateur de mille largesses, me fait sourire, moi qui ne croit pourtant qu'aux Eldorado intérieurs acquis de haute lutte.


En attendant de voir la ville émerger de ses décombres, je me réjouis déjà de l'arrivée du Monop' au cœur de la vieille ville, dans un bâtiment austère, mais non dénué d'une certaine solennité, l'ancienne Bourse du travail, haut lieu des luttes ouvrières. J'aurais aimé autre chose qu'un grand magasin, il a été longtemps question d'une médiathèque, mais je préfère que des vitrines s'allument dans les belles arches conservées, plutôt que d'assister impuissante à leur lente agonie par étouffement. Les gens reviendront, redonnant vie à la rue sinistrée, et de nouvelles boutiques devraient ouvrir alentour. Et puis moi, je voue au Monop' une reconnaissance éternelle depuis toujours, il fait partie de mon patrimoine personnel et m'a sauvée d'un chagrin d'amour. D'abord perdue comme une naufragée entre les rayons, peu à peu ma peine était comme mystérieusement épongée par la lumière intense, les collants rayés et les chaussettes à pois me ravissaient, la vaisselle pimpante me redonnait de l'appétit, et les petites boîtes de fard me promettaient des joues couleur pêche ou abricot. Je sortais du magasin ragaillardie, avec l'envie de vivre de nouveau, une goélette qui prend le large, avec moins de ronds dans le porte-monnaie certes, mais une énième paire de chaussettes essentielle à ma sortie de crise. Aucun autre grand magasin n'a jamais eu sur moi cet effet antidépresseur, pourtant j'en ai testé tout un tas, et certains au contraire me collent plutôt le blues.
Je ne vais pas faire le tour de toutes les bonnes adresses ni des plans shopping à Toulon et les environs. Ce n'est pas le sujet de mes billets, et il y a déjà quelqu'un qui fait ça plutôt bien. Elle s'appelle Julie, Toulonnaise d'adoption toute neuve, et son blog de dénicheuse, From Toulon with love,  est une mine qui regorge de pépites. Mode, beauté, déco, créateurs, restos, festivals, expos... ses chroniques tendances sont épatantes et grâce à son énergie gourmande et ses sens en éveil, elle démontre que Toulon est en passe de sortir de sa léthargie mortifère.


Petit coup de cœur cependant pour un lieu sympathique dans la vieille ville, le Chicag' hostel. Conçu comme une auberge, les voyageurs partagent la grande cuisine, la salle d'eau et les chambrées pour 4 ou pour 6 personnes ( misanthropes et chichiteux s'abstenir ). Aménagé par d'ingénieux bricoleurs fans de récup, la déco tout terrain y est fonctionnelle, drôle et tendre, et dans le grand salon, des instruments de musique, des bouquins attendent sagement, comme dans une maison qui sait accueillir les invités de passage. Brunchs et apéros, vide-greniers et puces vintage, street-painting dans la ruelle, Chicag' hostel organise tout un tas d'évènements pour célébrer la rencontre, la convivialité et réanimer ce petit coin de quartier, la rue Bonnetières, à deux pas du port. La petite vidéo en ligne sur le site pour se rendre à l'hôtel est hilarante et augure de l'ambiance qui prévaut dans ce lieu d'hébergement insolite. Imaginez une bande de copains qui monte dans un vrai lit (avec draps, couverture et oreillers), icône de l'hôtellerie, transformé en taxi dévalant à toute allure de la gare jusqu'à destination, les noms des rues et des places s'affichant tout au long de l'itinéraire. Tant il est vrai que le lit est synonyme de voyages, véhicule du rêve et de l'évasion. Have a good trip !





4 commentaires:

  1. Tu décris magnifiquement bien le ressenti des nouveaux arrivants sur Toulon et je me suis retrouvée dans ton récit ! J'habite à La Seyne depuis 2011 et je suis aussi persuadée que Toulon est en plein changement, ce que j'appelle le Toulon 2.00 !

    J'ai fait d'ailleurs un article sur la vie le soir dans le centre de Toulon, si ça te dit d'y jeter un oeil : http://toulonvar.blogspot.fr/2014/08/que-se-passe-til-toulon-le-soir.html

    A bientôt!

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  2. Merci à Lilou, encore une varoise d'adoption. Sur son blog, elle donne plein d'adresses coups de cœur, dévoile de jolies balades, des plages aussi tentantes qu'un cornet de glaces, et tous les évènements festifs de la région. Gourmande, elle cuisine des petits plats et son blog http://vitefaitbienfrais.blogspot.fr/ régale les mirettes et met en appétit. Miam !

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  3. Je ne me prive pas de publier le petit mot de Julie, envoyé sur ma boîte mail. C'est trop gentil de sa part !


    De : Julie From Toulon with Love
    Date : 6 août 2014 19:45

    Hello Barbara,
    J'ai lu ton article, comme il est joliment écrit, c'est presque de la poésie. Tu as une jolie plume c'est très agréable à lire, sincèrement. Je te remercie pour le passage sur mon blog, tu as parfaitement saisi l'essence de From Toulon with Love... Je vais le mettre dans ma rubrique "On parle du blog" :)
    Si j'ai bien compris tu es toulonnaise-parisienne-toulonnaise ? Je partage ta vision de Toulon, terre de contrastes, et pleines de richesses à découvrir... Plus modes​t​ement, comme toi, il me tarde aussi que le Monop' ouvre ^^
    Au plaisir La Princess',
    Lot of love
    Julie
    Blogueuse passionnée ♡
    fromtoulonwithlove.com

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  4. Bravo !!!!
    Belles photos et sentiment d'étrangeté partagé...
    Charme et désuétude...une belle ville encore endormie sous certains aspects...
    http://toulontoutcourt.blogspot.fr

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