La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

jeudi 23 septembre 2010

Epiphanie

Je me souviens de ce matin morose et glacé. Je marchais vite pour me réchauffer, et pour ébrouer un spleen têtu. Mon empressement, et ma retraite intérieure ont bien failli me faire manquer notre rendez-vous. Mais heureusement... pourtant retranchée du monde, tous mes sens n'étaient pas engourdis. Une obstination à rester éveillée, à capter les signes de vie, une tendance à me laisser ravir et transporter, me libéra sans doute de ma fascination narcissique. Et le charme du monde figea ma course éperdue. Je m'arrêtais, ensorcelée, devant la vitrine du pâtissier.
Oh non, ce n'était pas la vitrine d'apparat, celle réservée à la mise en scène des gâteaux et des chocolats, exposés sur des plateaux étincelants ouverts en éventails et offerts dans un écrin de satin cramoisi, qui retenait mon attention. C'était l'autre, celle qui jouait les seconds rôles, dans un registre humble et authentique... une couronne d'épis de blés et de coquelicots tressés, une faucille, icônes d'une histoire ancienne, chargées de provoquer la nostalgie du terroir perdu. Derrière le présentoir, un rideau opaque occultait toute l'ouverture, affirmant sèchement la volonté de ne rien révéler de plus. Cette vitrine donnait à voir sa relégation, sa destitution du rôle qu'elle aurait dû jouer. Elle montrait qu'elle avait tout à cacher, et un sentiment d'incongruité, de mystère, s'emparait de moi chaque fois que je passais devant cet espace clos, comme une boîte renfermant quelques reliques désuètes pour donner le change, le double fond voilant un contenu protégé et interdit. Mais ce matin là, le double fond s'était entrouvert, le monde de l'autre côté avait débordé. Un être s'en était échappé, les plis du rideau chahutés signalaient son passage.
Assis dans la vitrine, face à la rue, un chat. Sa queue refermée en virgule sur ses pattes ponctuant une posture attentive et parfaitement immobile, il me regardait. Hypnotisée par l'intensité tranquille de son regard, je restais là, en admiration. Les fines rayures régulières de son pelage évoquaient un bas de laine. Il était roux et blanc, sa blondeur mordorée réchauffait une neige immaculée. Du givre incendié, un poème d'automne au coeur de l'hiver. Je m'avançais tout prés, juste séparée de lui par la fine épaisseur de la vitrine. Si prés que je pus voir devant sa truffe, dessiné par la tiédeur de son souffle, un coeur embué sur la vitre, une tendre décalcomanie de son nez rose et humide. L'ingrate vitrine accueillait un miracle, et moi je le recevais comme un cadeau. J'ai communié avec cette perfection. Cette extase c'était, oui, comme une prière, une alliance avec la grâce.
Je sais depuis longtemps que prêter attention à la vie qui m'entoure est source de reconnaissance et d'éblouissement. Et de guérison. J'ai dû repartir, mais mon coeur débordait de gratitude. Cette allégresse, je l'éprouvais des jours durant. Aujourd'hui encore, il me suffit de raviver le souvenir du chat rayé, de sa respiration contre la vitre vaporisant un empreinte émouvante, pour me sentir à nouveau palpiter d'espérance. J'ai reçu de l'Univers une preuve d'amour, j'ai capté un signe de son infinie bienveillance. Dés que je me rappelle cette promesse, je suis comme galvanisée.
Depuis ce matin lumineux, je suis passée maintes fois devant la vitrine du pâtissier, mais je n'ai jamais revu le chat amoureux. Chaque fois, je ralentissais le pas, les battements de mon coeur s'emballaient, mais le rideau restait tiré, ses plis bien ordonnés célant de manière élégante et implacable le passage entre deux mondes.

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