La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

jeudi 9 septembre 2010

Rroms, les hommes vrais

Pendant longtemps, j'ai eu un peu honte... Je pensais que j'étais victime de la pire imagerie romantique concernant les gitans. J'étais comme beaucoup, partagée entre fascination et méfiance, une gadji, une non tsigane. J'imaginais les jupes fleuries bordées de volants, les bracelets en cascade, les chevelures sombres et les regards farouches, les guitares endiablées et les roulottes serrées autour du feu de camp... et par dessus tout, le mythe enivrant d'une vie vagabonde au sein du clan soudé et fier. J'ai découvert un jour le livre autobiographique de Jan Yoors, Tsiganes, et il m'a réconciliée avec mon imaginaire. Le souffle lyrique et romanesque de son récit entraînait le long des routes les figures qui peuplaient mes rêveries sentimentales. L'histoire de Jan, petit anversois d'une douzaine d'années entre les deux guerres, qui quitte ses parents pour suivre une tribu de Rom Lovara est fascinante. Adopté, il partage la vie de ces dresseurs de chevaux, princes du vent et des nuits étoilées, pendant toute une décennie. Dés le début, le mystère domine l'histoire, et ne sera pas élucidé. Quelles sont les raisons qui poussent ce gamin à abandonner son monde familier pour une existence incertaine, comment peut-il mener une double vie sans montrer de signe apparent de schizophrénie galopante, et comment ses parents, artistes et fantasques certes, ont ils accepté de le laisser partir vers l'inconnu ? Autant de questions sans réponses qui déroutent l'esprit rationnel mais ravissent l'âme éprise de merveilleux.
Auteur anonyme. Roumanie vers 1917

Sur les routes, tout au long du voyage, se rencontrent des communautés très structurées. Ces tribus vagabondent, refusent les règles des gadje, embrassent la marge et tutoient l'illégalité, sans pour autant vivre sans foi ni loi. Avec ce petit garçon aventureux, j'ai découvert leur langue mystérieuse, leur culture sans cesse mouvante au gré des mariages et des alliances, leur lumineuse sagesse trempée d'humour, leur malice pour se rendre insaisissables et rester libres, leur spiritualité teintée de magie, leur longue connivence avec la débrouille, la clandestinité et l'insoumission qui les a conduit pendant la guerre à rejoindre la résistance et collaborer avec les alliés.
Voyageuse allumée
Photo Tarnie CC
En ces temps troublés, où les vieilles peurs sont ranimées et appelées à la rescousse, où le bouc émissaire est désigné pour conjurer la crise qui s'installe et la révolte qui gronde, j'ai posé sur mon coeur ce livre comme un talisman. Je me dis que beaucoup de choses ont certainement changé dans la vie des Rroms, depuis l'époque dont Jan Yoors se souvient, et leur vie est sans doute bien éloignée de cet hymne âpre et puissant à la nature et à la liberté. Mais leur vulnérabilité demeure, entretenue par leur tempérament rebelle, têtu et fier. Nos lois ne les concernent pas, nos façons de vivre ne les attirent pas. Ils nous défient, nous provoquent, nous dérangent. Indomptables, ils deviennent indésirables, victimes expiatoires idéales de toutes nos frustrations.
Je ne peux m'empêcher de penser que notre gouvernement les utilise pour mettre en scène un exemple de fermeté, et jouer aux cow-boys et aux indiens. Et moi, dans cette Europe que j'ai rêvée solidaire, déployée comme un immense patchwork chatoyant de ces milliers de petits morceaux différents organisés et solidement cousus ensemble, je me sens dépossédée et trahie.

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