La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

mardi 29 novembre 2011

Catalogue des nuées

Me voilà dans les nuages, icônes météorologiques et symboles du monde onirique, reliant le rationnel et le spirituel, le scientifique et le magique.
Les nuages parlent du temps qu'il fait, des orages qui se préparent et du calme espéré, ils cachent la maison du Père Noël, et abritent le Paradis. Ils inspirent les poètes, les rêveurs, ceux qui espèrent s'affranchir de la pesanteur ici bas, persuadés que l'infinie perspective les libèrera de  l'étroitesse de vue. Dans leur course mouvante effilochée par le souffle du vent, ils recueillent les prières et enfouissent les secrets dans leurs joues molletonnées. Etiré, effrangé, éparpillé, pommelé, dodu et boursouflé, nacré, iridescent, mordoré, primesautier, transparent, diaphane et froufroutant, sombre et menaçant, lourd, dense et barbouillé, le nuage a ses états d'âme.

Dans le monde des nuées, la hiérarchie la plus stricte est de mise et structure l'espace floconneux. Tout en haut, au-delà des 5000 mètres d'altitude, dominent les cirrus, élégants et bouclés, ceints de cristaux de glace miroitants. Le dessus du panier céleste, même si parfois des unions sont consommées avec des occupants des couches inférieures. A l'étage du dessous, plutôt vers 3000 mètres, les cumulus, comprenez les rondouillards gonflés de gouttes d'eau, mais qui n'annoncent pas forcément la pluie, privilège réservé aux nimbus de la même famille. Enfin, le rez de chaussée, où prolifèrent les stratus, sortes de millefeuilles ouatés en couches disposés, dont la plus banale des métamorphoses au raz du bitume, se trouve être notre vulgaire brouillard. Si chacun voulait bien rester sagement à sa place à l'altitude qui lui est dévolue, l'ordre pourrait régner dans le ciel. Mais les nuages sont rebelles et s'acoquinent sans vergogne, multipliant les liaisons les plus fantaisistes, cirrocumulus, cirrostratus, stratocumulus, nimbostratus et j'en oublie, créant un joyeux foutoir dans l'azur. Pour compliquer davantage la situation, chaque famille nuageuse, selon l'altitude où elle perche et son apparence, se décline en plusieurs genres. Ainsi les castellanus surmontés de tours crénelées comme les châteaux du Moyen-Age, les spissatus, entonnoirs pissant les orages, les fibratus, filamenteux plutôt que floconneux, les vertébratus, hérissés comme des arêtes de poissons volants, les calvus, au sommet lisse et rond, les capillatus, hirsutes et chevelus, les floccus, joufflus et rebondis, les mamma qui portent sous leur ventre des guirlandes de tétines gonflées d'eau, les radiatus, qui ne chauffent pas, mais rayonnent.

J'ai pensé longtemps que les cumulus étaient inoffensifs, avec les fractus amoindris en longues traînées alanguies, les humilis, petits nuages pétaradant sans prétention dans le ciel d'été, les mediocris, qui comme leur nom ne l'indique pas, affichent un volume fort respectable, débonnaires sans aucune précipitation annoncée. Mais j'ignorais l'existence des congestus, choux-fleurs de mauvais augure, et des pyrocumulonimbus, champignons funestes jaillis d'une source intense de chaleur, et qui couronnent l'explosion de la bombe atomique. Hormis ces patibulaires, les cumulus ont l'air serein, mais il ne fait pourtant pas bon les croiser en altitude. Maniaco dépressifs, sujets à des accès de violence, ils chahutent les avions qui dévissent du firmament, et s'écrasent au sol, aspirent les planeurs égarés, enserrent les carlingues d'étreintes glacées et mortelles, les cisaillent en pluie de confettis métalliques. Gare aux parachutistes et autres parapentistes ! Le cumulus n'en fait qu'une bouchée et les happe dans ses cumuli trompeurs. Siphonnés, puis asphyxiés, congelés et enfin électrocutés, les malheureux ne survivent que rarement à une rencontre aussi cumulante. Sauf Ewa Wisnierska, championne allemande de parapente, et fille de l'air héroïque. Elle a survécu à une aspiration ascensionnelle de 9000 mètres à l'intérieur d'un cumulonimbus glouton et récupéré toutes ses facultés, pourtant dramatiquement secouées !

Au ciel, c'est là que certains croient qu'ils iront après leur mort, retrouver les nuages qu'ils n'ont pas aimés sur terre quand ils s'amoncelaient, portant leur ombre menaçante sur leur bonheur fragile. Au Paradis, le temps est couvert, la béatitude est truffée de nuages imprévisibles qui bouchonnent, fondent dans l'azur comme des sucres, et cristallisent de nouveau, sans fin. L'Eden devrait récompenser d'abord les amoureux de la true life, familiers des orages, des horizons incertains et insaisissables, des ombres qui glissent et des certitudes qui s'évanouissent, ceux qui n'ont que faire d'une félicité couleur de ciel bleu, immobile et vide.

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