La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

mardi 8 novembre 2011

Mystères et boules de gomme

Tout au long de mon enfance, des expressions, des phrases mystérieuses glanées au fil des conversations des adultes me plongeaient dans la perplexité la plus complète et m'entraînaient dans des rêveries sans fin. L'une d'elle était la flamme du soldat inconnu. Combien de suppositions, d'interprétations toutes plus fantaisistes les unes que les autres, que je préférais à une explication me ramenant à la réalité la plus triviale. Cette fameuse flamme m'enchantait. Elle éclairait pour moi la voie du courage, de l'audace, et de la passion qui enfiévraient ce militaire mystérieux, qualités si intenses qu'elles ne pouvaient s'éteindre et continuaient à flamboyer sous l'Arc de Triomphe. J'appris que la nation prenait soin tous les jours de son feu patriote, pour le remercier d'avoir autant brûlé pour elle. J'étais remplie d'admiration devant une mission aussi élevée : raviver la flamme pour qu'elle ne meure jamais. J'hésitais longtemps pour choisir ma destinée. Raviveuse de flamme me semblait enviable, j'ignorais alors qu'il existait de multiples façons d'allumer les passions. Mais mon enthousiasme fut enseveli sous les révélations les plus sombres. J'appris que les hauts faits du soldat étaient muets, comme sa biographie. S'il était inconnu, c'est parce qu'il était méconnaissable. Le trouble excitant du héros masqué s'évanouit, pour laisser place au cadavre déchiqueté d'un pauvre troufion, à jamais sans histoire, sans famille pour le réclamer, sans amis pour le veiller, et sans amour reconnaissant pour déposer sur sa tombe des fleurs.
La salle des pas perdus connut le même dénouement. Quelque part, un lieu affamé engloutissait les pas de ceux qui en foulaient le sol, un lieu où l'on marchait en vain sans trouver d'issue, où les traces s'effaçaient ! Je découvris que l'espace glouton n'était qu'un vulgaire vestibule où l'on trépigne, un passage anonyme que l'on traverse en se pressant, une salle d'attente où l'on fait les cent pas. C'était partout et nulle part, seule la démesure glaciale de l'endroit dominait, qui interdisait à chacun de s'y attarder, même pour reprendre son souffle.





Heureusement, l'initiative récente du designer Charles Kaisin a sauvé pendant quelques mois de la froidure polaire, la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Sur une immense trame de fils rouges tissés au plafond, il a suspendu 10.000 origamis, des fleurs d'iris pliées dans des pages du code civil et pénal, un travail minutieux réalisé par des détenus de la prison de Saint Gilles. Un champs de fleurs virevoltait au-dessus des têtes au moindre souffle d'air, fragile kaléidoscope de papier, éphémère et ludique. Le passant étonné ralentissait sa course et s'arrêtait le nez en l'air. Le pas perdu n'était plus égaré, et reprenait son chemin après une halte récupératrice de forces nouvelles.


Poupon baveux
Je sus très vite que la destinée humaine pouvait être rude, et qu'il fallait s'attendre à lutter le plus clair de son temps, mais en baver des ronds de chapeau, alors ça, c'était inacceptable. Baver, c'était déjà dégoûtant, et ressembler à une gargouille barbouillée de salive ne me tentait pas du tout, mais cracher, que dis-je, expectorer des chapeaux mutilés, c'était effrayant. Je plaignais sincèrement les malheureux soumis à ces abominations, qu'avaient-ils donc fait pour mériter une telle humiliation ? Pour accroître encore le tragique de leur situation, les chapeaux bavés devaient avoir piètre allure, tout ramollis, informes, vaguement visqueux, et dépourvus de bords. De misérables cloches, galurins définitivement irrécupérables !

J'aborde encore une fois la religion, pour évoquer l'ImmaTRIculée Conception. J'avais une dizaine d'années je crois, et j'ignorais tout du mot immaculée. J'ai cherché à faire mon arrogante, et mademoiselle je sais tout s'appropria le vocable inconnu en misant sur de vagues réminiscences qu'elle ne maîtrisait pas. Mon bricolage linguistique accrut ma perplexité. L'Immaculée Conception, mystère déjà complexe à appréhender si l'on n'est pas doté d'une foi solide, devenait une aberration pour l'entendement, affublée d'une plaque minéralogique. La Vierge Marie avait mis au monde le petit Jésus, jusque là je comprenais à peu près la situation, je refusais néanmoins les détails scabreux concernant le fruit de ses entrailles ( beurkkkkkkkk ! ), et le fait que Joseph était bien son mari, mais pas le père de son divinenfant. Le père, me laissais-je dire, bien qu'une telle révélation me heurta, le père était Dieu, qu'elle n'avait jamais rencontré mais qu'elle connaissait quand même. Soit, mais je mis davantage de temps à accepter que la maternité de Marie nécessitât qu'on la numérotât. Marie, première mère porteuse bénévole de l'Histoire, fallait-il l'identifier comme le saint véhicule qu'elle était ? Transportant Jésus dans son ventre sur des routes peu sûres, pouvait-elle s'égarer, et ainsi son matricule lui garantissait d'être identifiée, reconnue et protégée ? Je me rangeais à cette explication, somme toute satisfaisante, parce qu'elle rendait à Marie sa dignité et sa valeur, et à son miraculeux lardon sa qualité de colis exceptionnel.
Une dernière question me hante. Pourquoi dit-on, lorsque une conversation s'éteint et que le silence se fait, pourquoi dit-on toujours qu'un ange passe ? Et s'il passe, pourquoi ne s'arrête-t-il jamais ?

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