La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

samedi 4 février 2012

A double tour

Un amoncellement de cartons et de valises, sur le trottoir, à l'angle du mur, attend le passage des éboueurs. Au sommet de la pile, jetées dans un panier éventré, des clés emmêlées, portant des étiquettes attachées avec des petites ficelles. Sur ces morceaux de carton, dont les 4 coins sont coupés, ou arrondis, ce sont des étiquettes soigneusement bricolées, une écriture désuète, à l'encre violette,  élégante avec ses pleins et ses déliés, identifie chaque clé. Et quand le doute domine, il y a tant de clés, pour autant de serrures, sans compter les doubles, un petit texte livre des indices précieux, dans le but de favoriser les recherches et permettre de retrouver sans encombre les serrures correspondantes.
Toute une vie rangée dans des valises, et des caisses, elles-mêmes enfermées dans des malles, entreposées dans des lieux remplis de caisses. Métaphore de la mémoire, et des souvenirs enfouis. Des petites légendes dérisoires griffonnées sur d'humbles morceaux de carton, pour ne pas se perdre et jouer au Sherlock Holmes de son existence, indices pour ne pas oublier, pour conjurer le temps qui passe, un jeu de piste déroulé d'un lieu à l'autre, d'une malle à l'autre, des petits cailloux semés pour retrouver le chemin de sa vie rassemblée et enfermée à double tour pour empêcher qu'elle ne prenne la poudre d'escampette.

Clé ( n°79 ) 
Caisse à outils d'Aix 
Où il y a les plus gros outils
Un bricoleur aussi soucieux de l'étiquette trie méticuleusement ses outils, et les regroupe avec soin. Une grosse scie pour se séparer des attachements, un gros marteau pour enfoncer les évidences, un gros tournevis pour dévisser quelques illusions, et une grosse clé à mollette pour serrer quelques certitudes. Une médaille de laiton ovale qui porte le numéro 79 ( je doute que ce chiffre soit aléatoire, mon esprit de déduction me suggère plutôt qu'il s'agit précisément de la 79e caisse à outils, dûment répertoriée dans une liste qui en contient au moins 78 autres ) découpé comme un pochoir, et une petite rondelle de cuir, signe de reconnaissance indéchiffrable, sont attachés ensemble. Derrière l'étiquette, des précisions supplémentaires, bien utiles pour remettre la main sur les outils ( les plus gros ) :
Cette caisse est
dans la malle
8 au bureau
Des indications précieuses, parce que la caisse des plus gros outils est au bureau, et il est absolument nécessaire de le préciser, le bureau n'étant pas, en général, l'endroit le plus évident pour ranger des outils, bureau localisé à Aix, une autre précision utile en cas d'amnésie subite, entraînant une perte de repères dramatique, dans la malle n°8... rangée sous la table, enfermée dans une grosse armoire ( mais alors j'aurais certainement trouvé une ou plusieurs clés dudit meuble avec des étiquettes ) ou bien empilée contre le mur avec les malles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10 et au delà, que sais-je ! Le bureau est donc encombré de malles numérotées, fermées à clé, chaque clé possède un double, et dans les malles, des caisses et des valises, avec des numéros, et des serrures, et forcément des clés qui les ouvrent. Vertigineuse mise en abyme, repérage balisé des profondeurs de la mémoire, où les souvenirs, les lourds et les légers prennent tant de place, et s'empilent, et s'emboîtent, et s'animent lorsqu'on soulève les couvercles.

N°3 Les cadenas de 
ces 2 petites clés 
doivent être dans 
la caisse à outils 

de Montolivet
voir si la clé de la
caisse n°4 n'est pas celle de la caisse de la Selle
ou l'une de celles de 
la chaînette cuivre
Les choses se compliquent avec une autre caisse à outils qui ne porte pas de numéro. C'est LA caisse à outils, qui ne contient pas les outils les plus gros, rangés ceux-la dans la caisse n°79, mais renferme d'autres outils et, peut-être, les cadenas des 2 petites clés. LA caisse ne se trouve pas avec l'autre, à Aix, mais à Montolivet, j'espère que c'est le quartier de Marseille dont il s'agit, parce que s'il faut aller chercher des outils près de Melun pour bricoler à Aix, ce n'est pas du tout pratique. Bon, l'essentiel c'est de localiser LA caisse à outils parce que les 2 cadenas qui pourraient être utiles un jour pour verrouiller une malle dans laquelle il y aurait une caisse ( à outils ) s'y trouvent peut-être. Une enquête s'impose, également pour vérifier si la clé de la caisse n°4 ( mais où se trouve la caisse n°4 ? Avec la caisse n°8 au bureau ? ou bien à Montolivet ? ) n'est pas plutôt celle de la caisse de la Selle ( la clé de la caisse n° 4 pourrait bien être celle d'une unique caisse entreposée ailleurs, dans une propriété nommée La Selle, sise sur la rivière La Selle, localisée à La Selle ? Je me perds en conjectures ) et si ce n'est pas le cas, alors il faut chercher du côté de la chaînette cuivre, qui possède plusieurs clés. A quoi peut bien servir une chaînette (  une petite chaîne NDLR ) en cuivre qui se ferme à clé ? Pour sécuriser un coffret à bijoux ? Une boîte de Havane ? Un album de timbres rares ?


I clé malle osier ( avec housse )
I "   malle CD ( A )
2 "  grde valise ( B )
Les doubles de A et B sont dans l'armoire après l'anneau
parce qu'en ayant besoin 
tous les jours pour
ouvrir malle et valise


La malle CD ( A ) et la grande valise ( B ) sont essentielles : elles servent tous les jours ! Est-ce qu'elles voyagent tous les jours ? Ou plutôt est-ce qu'elles contiennent des choses absolument utiles tous les jours et tiennent lieu de coffres de rangement ? Leur propriétaire refuse l'idée de s'installer, ou bien il voyage beaucoup, ce qui revient au même, et ne défait ni malle A ni valise B, ou encore il cultive l'idée de repartir très loin, un jour, demain. A moins qu'il ne craigne sans cesse l'obligation de fuir, et si c'est le cas, encore faudrait-il connaître ce qui pourrait le contraindre à de telles extrémités. Prendre la clé des champs, un comble, ou un rêve, pour un obsédé de la serrure ! Ainsi ses bagages sont toujours prêts, et il campe dans son appartement, en attente d'un ordre de départ ( intérieur aussi bien qu'extérieur ). Mais son extrême prudence pourrait bien lui jouer des tours. Il prend soin de fermer malle A et grande valise B à clé tous les jours, il se méfie de son entourage semble-t-il, mais en même temps, il doute de lui encore davantage, et craint d'oublier, aussi signale-t-il les clés qui permettent à tout un chacun d'accéder à leur précieux contenu, ruinant ainsi toutes les précautions qu'il a prises. A moins que sa prévoyance lui dicte d'éclairer les archéologues futurs de ses souvenirs en cas d'absence prolongée ou définitive de sa part.

2 clés
du sac de voyage
resté à 
Montolivet
Ah ! L'éternel voyageur a aussi un sac, qui a décidé de sa propre initiative de rester à Montolivet, sauf si son propriétaire lui-même a pris la décision de l'y laisser pour une raison obscure. Je récapitule, pour ne pas perdre le fil. Mon geôlier, maître des clés, travaille à Aix, vit parfois à Montolivet, et passe ses WE dans sa maison de la Selle. J'ignore l'endroit où il campe la plupart du temps, avec la malle CD et la grande valise, mais tous ces points de chute où il a laissé choir ses malles le contraignent à un  archivage méthodique.


Clé double
Malle CD
l'autre est une des 2 clés de la malle osier
La malle CD est vraiment précieuse... des initiales ? Charles Decoing ou encore Christian Delay... Christophe Dumont ou Cristobal Desfossez... 3 clés en tout, dont 2 doubles ( dont l'un des deux est, je le rappelle, accroché à l'anneau dans l'armoire, parce qu'il est utilisé tous les jours pour ouvrir et refermer la malle ) et le double de la clé de la malle en osier, protégée d'une housse. Tout est limpide, non ?


Clé petite malle
noire
 N° 31
à Montolivet
Lingerie qui était dans
la commode et dans l'armoire
de Jeanne        Lampes électriques tulipes sous le 1er compt.


La lingerie de Jeanne est rangée maintenant dans la petite malle noire. Est-ce que Jeanne est morte, et son mari, fétichiste en deuil, a vidé commode et armoire et voulu conserver amoureusement ses petites culottes en dentelle... en même temps, il a remisé dans la petite malle, avec la lingerie fine, les tulipes des lampes. Après les caisses à outils, cette petite malle noire, avec de la lingerie et des tulipes, c'est tellement tendre, et féminin, et gracieux. Est-ce que Jeanne les avait choisies, ces tulipes, attentive à la décoration de sa maison, et le lien qui les unit justifie qu'elles se retrouvent intimement mêlées à sa lingerie ? Ou bien la lingerie onctueuse constitue une protection approprié, un écrin providentiel pour ces accessoires délicats ? Les tulipes de verre, avec leur bord joliment volanté, sont généralement montées sur des cols de cygne, longues tiges recourbées qui penchent la tête pour éclairer doucement. Comme Jeanne peut-être, femme fleur au cou gracile.


Clé de la mallette
des poupées n° 10 bis à la craie
dans laquelle j'ai mis
une couverture et
deux tentures rendues 
par la voleuse
Une mallette des poupées, et c'est l'enfance qui s'invite furtivement. Cristobal avait rangé à l'intérieur une couverture, quelle drôle d'idée, je suppose que les poupées n'y étaient plus, la couverture pas davantage d'ailleurs, mais le larcin plié de la mystérieuse voleuse qui n'a pas de nom s'y trouve bien, l'infâme bonne femme ( je comprends mieux pourquoi Cristobal est aussi paranoïaque ), deux tentures qu'elle a été contrainte de restituer à leur propriétaire, qui ne lui a pas pardonné son geste inqualifiable, parce qu'elle est de la famille. Traîtresse ! Qui d'autre qu'une soeur, une bru, une fille, peut oser s'approprier les cossus rideaux damassés du salon de Jeanne juste après son décès, ou pire encore, pendant son agonie, les décrocher sans vergogne de la haute fenêtre laissée nue, le rapt ainsi crûment révélé ? Un scandale familial brièvement évoqué, les fameuses tentures sont en lieu sûr, en sécurité dans la mallette n°10 bis, rapidement estampillée à la craie, il faudra sécuriser cette identification avant qu'elle ne s'efface et que les tentures ne disparaissent à jamais, englouties dans une malle muette. La voleuse est interdite de séjour, reniée, et son nom a jamais honni. La fenêtre n'a plus de rideaux, tant pis, même si l'intimité n'est plus protégée, elle reste comme la preuve criante de l'affront. Il vaut mieux se passer dorénavant de tentures, si elles devaient de nouveau susciter l'envie, ou se voir revendiquées par un membre de la famille dénué de tout scrupule.


Clé double du haut
du coffre ( int du Bureau )
rue Angleterre
Il y a un coffre, caché dans le bureau ! Quelle idée de révéler cette information sur la clé qui ouvre le haut du fameux coffre ! C'est tenter le diable ! Une vraie provocation ! Cristobal a quand même pipé les dés, d'une part il n'a identifié que la clé du haut, ah ah, il a caché la clé du bas, et de plus, il faut savoir où se trouve la rue Angleterre. Un tel indice peut évidemment entraîner le voleur sur une fausse piste, à Londres, ou mieux, au fin fond du Gloucestershire !


Je ne me souviens plus à
quel cadenas appartiennent 
ces deux clés


Cela devait bien finir par arriver ! La prudence extrême, digue érigée contre l'inquiétude et les voleurs, s'effrite. Mon arroseur est arrosé. Malgré tous ses efforts pour que la vie reste bien rangée, ses tentatives ne lui permettent pas de tout contrôler. Les choses et les êtres que nous nous acharnons à posséder, à protéger, finissent par nous échapper et disparaissent, à jamais engloutis. C'est peut-être ce que Cristobal a fini par accepter, se débarrassant de toutes ces clés inutiles et en même temps de son obsession.

Le temps, très doux pour la saison, est devenu sans crier gare, glacial. Les fleurs de mimosa sont toutes racornies, leur auréole de lumière duveteuse s'est éteinte. J'attendais la neige, et ce matin, elle est là. Et même si je suis désolée pour le mimosa qui a perdu de sa superbe, je raffole de l'hiver, de la vapeur légère de mon souffle dans l'air cassant comme du verre. Les connexions dans mon cerveau semblent toujours davantage stimulées et guillerettes dans la froidure. Et puis, après un hiver rigoureux, le printemps éclate comme un éclat de rire, franc et clair.

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